Arbre-frère

Photos © Thierry Bellaiche

 

 

La nature fait ce qu’elle veut. Même en pleine ville.

 

Ici Paris, avenue Bosquet, 7ème arrondissement.

 

Beaucoup d’arbres sont nés, beaucoup d’arbres sont morts. Beaucoup naîtront, beaucoup mourront.

 

Il y eut beaucoup d’arbres aussi dans les visions et dans les cœurs. Dans les écrits, dans les images. Peu dans les marbres. Le chêne de Dodone eut une nombreuse descendance, et probablement, une ascendance nombreuse. Ses feuilles en bruissant faisaient bruisser les prêtres et les prêtresses.

 

Les arbres rient, les arbres pleurent, les arbres souffrent, les arbres prient. Ils prient, j’en suis sûr. Plus sûr que d’avoir besoin d’eau pour perpétuer ma carcasse. Les arbres rient, cependant ils sont sciés. Rarement de rire.

 

Les arbres parlent. Particulièrement, entre eux. J’en suis sûr. Ils se préviennent entre eux, en cas de danger. Leur parole vogue de l’un à l’autre. Ils s’entendent parfaitement. Quant aux arbres solitaires, ils parlent seuls. Mais tous parlent, tous ont quelque chose à dire, tous ont une histoire. Certains sont taciturnes, d’autres logorrhéiques, mais tous ont le don. A-t-il existé une Tour de Babel pour les arbres ? Ou parlent-ils tous la même langue, de toute éternité ? Eux seuls le savent, car nous ne les comprenons pas.

 

Ils ont peur quand un danger se profile. Malheureusement, ils ne peuvent pas faire grand-chose pour y échapper. Quand le bûcheron approche, les racines se crispent, l’écorce s’assèche, les feuilles tremblent, et puis c’en est fait. Ils souffrent en silence, contrairement au bûcheron, qui fait beaucoup de bruit en les abattant, et qui ne souffre pas. Il travaille.

 

Les arbres émettent des borborygmes, comme dans les jeux innocemment érotiques de Valéry Larbaud et de sa compagne inconnue. Ils émettent des borborygmes, et c’est un chant merveilleux de la sève dans le corps de l’arbre.

 

J’aime les arbres plus que les chiens et pourtant, je ne déteste pas les chiens, bien que je ne les aime pas beaucoup. Je préfère les chats, réputés fourbes par certains bon apôtres. Ils aiment la « fidélité » du chien. Ils aiment surtout leur domination sur eux. J’aime particulièrement les chats qui grimpent aux arbres. Les arbres, eux, les adorent.

 

J’aime les arbres, parce qu’ils se sacrifient pour donner du papier sur lequel parfois – mais pas toujours – est faite l’offrande de chants qui réjouissent l’âme et le cœur, en attendant la mort.

 

J’aime les arbres, même quand ils sont malades. Celui-ci a développé des bourrelets, parfois appelés « bourrelets de recouvrement » par les horticulteurs ou les forestiers. En passant dans cette avenue, je tombe sur lui. Son aspect étrange me saisit. Sa difformité m’angoisse et me plonge dans un songe. Ses bosses me font mal au cœur. Il semble porter une grande souffrance silencieuse. Ses bourrelets résonnent comme l’expression d’un immémorial sanglot muet, aux larmes durcies par le temps. Pourquoi n’a-t-il pas poussé « normalement » jusqu’à la fin ? A quel moment est-il tombé malade ? Pourquoi ? Je le contemplais depuis un bon moment. Il m’a parlé. Chuchoté plutôt… J’ai alors appris que nous étions frères.

 

Il n’y a pas de bosquet dans l’avenue du même nom. Il y a des alignements tirés au cordeau.

 


 

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No Comments

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    husson françois 3 août 2016 (21 h 10 min)

    Comme disait Queneau, un hêtre vous manque, et tout est peuplier