Ceci n’est pas un gâteau

Photos © Thierry Bellaiche

 

 

Cette photo, envahie de banques et de pierre haussmannienne, à l’amont de la rue du Temple, au point où celle-ci forme un angle aigu avec la rue Meslay et son envoûtant chapelet de magasins de chaussures pour dames filant droit vers la rue Saint-Martin, est également piquée de trois frêles ballons de baudruche, tenus par un gosse dont seul le haut du crâne ressort parmi lesdits ballons (même si, rappelons-le, ceux-ci ne sont que trois ; notons également, tant qu’on y est, la triple amphibologie – ce qui fait beaucoup – d’une partie de cette phrase introductive assez versatile ou d’une partie assez versatile de cette phrase introductive qui voudrait, selon son bon vouloir du moment, que soit l’ « envoûtant chapelet », soit les « magasins de chaussures », soit enfin les « dames », puissent « filer droit vers la rue Saint-Martin », même si ces trois possibles sujets grammaticaux accordables avec « filant droit », une fois traduits dans la réalité physique – un chapelet, des magasins, des dames – ne fileraient probablement pas vers la rue Saint-Martin avec la même aisance).

 

A vrai dire, l’empilement monumental des façades d’agences bancaires et des façades d’immeubles de belle couleur claire, tirant sur le sucre-glace et agrémentées de la jolie dentelle de fonte noire des garde-corps des balcons, le tout formant comme deux belles et solides couches pâtissières, me fait penser à un gros gâteau urbain, sorte de « départ » de pièce montée où la Société Générale et BNP Paribas feraient office de socle incomestible – pour l’évidente raison du caractère indigeste de leur matière première. Je ne parle pas là de l’argent, matériau de base de la banque et éventuellement transformable, par exemple, en un gros gueuleton dans bon restau, mais de l’esthétique assez hideuse de ces façades en rez-de-chaussée, supportant les édifices somptueux d’un génie haussmannien révolu, puisque je faisais référence, on l’aura compris, à la consommation purement visuelle d’une image comparée à un gâteau. Or ceci n’est pas une pipe… ni un gros biscuit à dévorer pour tout de bon. Voilà qui est dit, pour rien. Et peut-être même pour personne, ce qui après tout me semble former un appariement fort cohérent. Mais fallait que ça sorte. Toute littérature est inutile… ou utile à qui veut, ce qui certes change pas mal les choses…

 

A part ça, le type à gauche, géniteur pressé de l’enfant aux ballons et devançant celui-ci en mode « tempête sous un crâne », file droit vers le point PMU un peu plus loin, opportunément baptisé « Tabac du Temple », pensant peut-être apporter à son existence et à celle de son enfant (et peut-être à celle de bien d’autres individus, encore plus hors-champ que le « Tabac du Temple » qu’on ne voit pas ici et donc à l’existence duquel on n’est pas obligé de croire) une amélioration substantielle en allant miser une partie ou le tout de son salaire si durement acquis (ou de ses aides sociales, on peut pas savoir : hors-champ aussi) sur un quelconque canasson fatigué de courir, comme nous tous, ô mes frères et sœurs, que ce soit à Vincennes, à Longchamp ou ailleurs dans le monde…

 

Quant au marmot, peut-être ne s’est-il pas avisé de la devise figurant sur ses ballons : « Ah ! Si… tout était aussi facile que chez MacDonald », la phrase mise à la suite de la prometteuse exclamation initiale étant écrite en tout petit, comme dans ces contrats où figurent de la sorte des clauses soigneusement destinées à ne pas être lues… Des clauses présentes qui se cachent… ou qui se font très discrètes, histoire de ne pas nous alerter trop facilement de ce que nous devrions savoir expressément. Il faut pourtant reconnaître que nous tenons là une phrase monumentale, à l’image du décor pâtissier environnant, mais que si celui-ci, solide sur ses bases, ne sera jamais mangé, la phrase, elle, disparaîtra lamentablement avec l’éclatement ou le dégonflement des ballons, laissant l’enfant orphelin d’un message profond et douloureusement nostalgique dont il aurait pu tirer un grand profit. Car oui, mon petit, la vie dans un monde dominé par la loi de l’argent et celle du clown Ronald ne sera pas toujours aussi « facile » que de suivre les pas de son papa ou de s’empiffrer de hamburgers payés par les vaillants efforts de celui-ci. Conclusion de vieux con, pour vous servir…

 

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Pour une autre divagation sur les chausse-trappes magrittiennes de l’image, voir aussi l’Impromptu La Trahison des images (version vidéo) 

 

 


 

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