Derrière les grilles (Cannes 1984)

Sergio Leone et Robert De Niro, Festival de Cannes 1984 (photo © Thierry Bellaiche)

 

 

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J’avais 20 piges et je suis parti seul au Festival de Cannes. Pour quoi y faire ? Pas grand-chose. Je voulais y être, pour voir, c’est tout. LE Festival, quand même… Y être seulement, en bon blaireau anonyme et rêveur, car je savais bien que je n’en étais pas. Je n’en étais pas, ni du « monde du cinéma », ni de celui du Festival, ni d’aucun monde bien défini d’ailleurs, à part celui de mes potes, qui eux étaient restés à Paris. J’étais hébergé chez une collègue et amie de ma mère qui habitait Cannes, sur les hauteurs. Bus tous les jours pour la Croisette, ou chemin à pied, ça dépendait de mon humeur. Je crois que je n’ai pas laissé un bon souvenir à cette excellente Simone et à son mari. Le jour où j’ai quitté son appartement, à la fin du Festival, j’ai pris mon sac, elle m’a raccompagné à la porte, qu’elle m’a cordialement claquée au nez dès que j’en ai eu franchi le seuil, avec un « au revoir » des plus secs, agrémenté d’une sorte de rictus qui exprimait parfaitement le mélange de soulagement de me voir disparaître et de colère accumulée pendant mon séjour chez elle. Pas très agréable, cela va de soi, mais au fond je la comprenais. Je n’avais pas été un modèle de savoir-vivre, j’étais rentré certains jours à des heures inconvenantes, je n’avais pas beaucoup parlé, je m’étais plus ou moins servi dans le frigo, j’avais un peu laissé traîné mes affaires dans le salon qui m’accueillait, bref, le parfait parasite post-adolescent qui se croit chez lui partout. Désolé Simone…

 

Le séjour à l’extérieur fut cependant assez agréable. Je me trimbalais avec mon bon vieux Nikon, je m’étais débrouillé pour obtenir une accréditation pour l’accès au Palais des Festivals, un peu au flanc (c’était encore possible), auprès d’une jeune femme de l’organisation qui m’a sans doute pris en pitié, accréditation théoriquement valable pour une journée mais que, je ne sais par quel prodige, j’ai réussi à faire renouveler tous les jours… J’ai pu voir des films, assister à des conférences de presse, me balader un peu partout dans le Palais. J’ai rencontré quelques personnes, dont Serge Daney, avec qui j’ai discuté un peu, et dont je me souviens (parce que cela m’a provoqué un irrépressible fou rire) qu’il détestait frénétiquement le film de Tavernier qu’il venait de voir : Un dimanche à la campagne. « Il manque plus que Gérard Lenorman pour venir pousser la chansonnette dans ce jardin bourgeois à la con ! », pestait-il auprès du parfait inconnu que j’étais pour lui…

 

Cela dit, je demeurais un spectateur, un anonyme, un « touriste », de ceux qui s’agglutinent derrière les grilles, au passage vespéral des étoiles sur le tapis rouge… En témoigne cette photo de Sergio Leone et de Robert de Niro, qui avaient fait le déplacement pour la projection de Il était une fois en Amérique. Photo chopée à la volée, l’appareil tenu à bout de bras, sous une pluie fine, coincé que j’étais parmi mes congénères non autorisés, et qui exprime bien le point de vue « relégué » de celui qui n’en est pas.

 

Un type l’a bien compris, c’est le moustachu à lunettes à gauche sur la photo. Il m’aperçoit, il se marre et il a l’air de bien se foutre de ma gueule. Il m’a reconnu pour l’un de ses innombrables frères, ceux qui vivent et habitent derrière les grilles. « Toi aussi tu galères derrière la grille ! », qu’il a l’air de me dire, depuis son enclos, le même que le mien… Il avait bien raison. Je te salue à travers le temps et l’espace, et à travers toute l’obscurité du monde, frangin !

 

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No Comments

  • comment-avatar
    husson 18 avril 2016 (12 h 17 min)

    Photo chopée, mais pas photoshopée

    • comment-avatar
      thierrybellaiche 19 avril 2016 (17 h 38 min)

      J’ai d’ailleurs toujours pas chopé Photoshop mais Photoshop a chopé à peu près tout le monde, congratulations Sir !