Michaux, expression absolue

Photo par Thierry Ehrmann

 

 

Lu avant de m’endormir il y a quelques jours : L’enfant-singe du Burundhi (sic), texte d’Henri Michaux. J’en ai été saisi (d’effroi en particulier) d’une façon incisive, violente, dérangeante, partagé entre l’ « émotion esthétique » et la sensation d’un cauchemar dont on se passerait volontiers. Peut-être est-ce le propre de l’ « inspiration » d’Henri Michaux : quelque chose (particulièrement lorsqu’il parle de souffrance humaine, laquelle recouvre peut-être l’ « inexprimable » par excellence, mais un « inexprimable » auquel Michaux a presque constamment cherché à se confronter à travers son geste d’écriture) de direct, de brut, de cru, bien que l’écriture ne soit jamais relâchée, et qu’elle présente même (paradoxalement) des aspects de raffinement comparables (mais ils se « voient » moins chez lui que chez certains adeptes du « beau langage » claironnant, ils y sont discrets et presque taiseux, ils cherchent à s’effacer, ce qui est tout à son avantage) à ce que l’on peut lire chez les plus fins et sophistiqués des poètes et prosateurs.

 

Un parallèle m’est alors venu à l’esprit, je ne sais pas trop ce qu’il vaut, mais c’est la façon dont il m’est venu à l’esprit que je trouve amusante. J’ai pensé à une réflexion qui, un peu comme une rengaine ou comme une scie, a été souvent émise par certains spectateurs (du moins avant que l’admiration pour le peintre ne devienne une sorte d’obligation culturelle dictée par le snobisme éternel) découvrant des dessins de Picasso jugés par eux naïfs, simples pour ne pas dire simplistes, plus proches de gribouillis enfantins que d’œuvres élaborées par un artiste adulte et conscient de ses moyens : « mon gosse de quatre ans en fait autant »…

 

En lisant ce texte de Michaux (mais c’est également vrai pour bien d’autres de ses textes), on peut se dire naïvement qu’une certaine apparence de simplicité, ou plus exactement une certaine façon directe, « premier degré », de dire les choses, sans l’intercession de trop de rhétorique ou du moins d’une rhétorique trop sophistiquée tendant à de lointaines et fines suggestions, rend son écriture « facile », paresseuse, puérile, à la limite de l’ « escroquerie littéraire »… On ne perçoit pas dès l’abord l’art profond mais « invisible », et finalement puissant, conscient, de cette écriture. On risque de n’y voir (en l’occurrence de n’y entendre) qu’une sorte de « cri primal » (exprimé par des mots directs, une syntaxe simple, des descriptions banales ou naïves de « souffrance intérieure », le tout comme improvisé ou jeté « au petit bonheur » sur le papier) que finalement n’importe qui pourrait aussi bien pousser (en le retranscrivant sur le papier), sans pour autant se prévaloir du statut prestigieux de « poète », à plus forte raison d’écrivain d’importance dans l’histoire littéraire… On risque à l’inverse de ne pas comprendre la fantastique et souvent effrayante brutalité ou l’extrême fermeté de cette écriture dans ce qu’elle a d’une expression de l’inconscient consciente d’elle-même.

 

Voilà donc l’expression qui a fini (le lendemain matin de ma lecture faite la veille, me semble-t-il) par synthétiser mon impression : Michaux, un Picasso de la littérature.

 

 

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Henri Michaux, dessin pour Les Grandes Épreuves de l’esprit

 


 

« L’enfant-singe du Burundhi », dans Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions, Œuvres complètes de Henri Michaux, Bibliothèque de la Pléiade, Vol. III, p. 1188-1190.

 

Lien Crédit photo : Henri Michaux, Painted Portrait, par Thierry Ehrmann, sur Flickr

Lien : une page intéressante sur Henri Michaux dans le blog Conscience sans objet

 

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