Las Vegas (Panoramas amers)

Photos © Thierry Bellaiche

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Las Vegas, épisodes précédents : Las Vegas (Monde réel) ; Las Vegas (Roue de l’infortune) 

 

 

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J’ai fini par regagner ma chambrette, payée d’avance, Dieu merci… Je prends de la hauteur, ça me change de ces derniers temps, où j’ai évolué un peu trop au ras du tapis vert… Hôtel Wynn, tu parles d’un nom… Faut pas le prononcer trop fort, ça porte malheur…

 

L’une des grandes baies vitrées donne sur un parcours de golf déserté à cette heure presque autant que les étendues arides qui enserrent ce trou artificiel et cependant palpitant nommé Las Vegas. Trop chaud ou trop tôt pour jouer à la baballe. Les milliardaires pioncent. Au loin, les douces collines grises du Nevada s’en foutent. Elles seront encore là après l’Apocalypse.

 

J’ai besoin d’un peu de flotte. De beaucoup de flotte. Accessoirement, il serait bienvenu que je me remette à flot. Je songe mollement, face à mon petit guéridon. Cette carrée est vraiment belle, j’y resterais bien le restant de ma vie de misère, je me dis… La grande tache verte en bas me donne une sensation de fraîcheur… Connerie ! Pas le moment de divaguer… Va falloir au pire que j’actionne mon banquier, qui ronronne à Paris, derrière ses moustaches jaunâtres et son nœud pap de traviole… . Ligne de crédit mon con, et plus vite que ça ! Comment je compte rembourser ?! Qu’est-ce que ça peut te foutre ? J’ai déjà de quoi te rendre ton foutu pognon, et tu le sais parfaitement ! Comptes bloqués, soi-disant ! Sauf le jour où t’as besoin de te servir ! Alors envoie-moi de la fraîche, sans discussion ! Non mais…

 

Un autre angle de vue donne sur un parking non moins désert que le jardin d’Eden pour mécréants. On voit des lotissements de baraques à tuiles rouges alignées comme des jetons de casino sur un tapis d’asphalte. Derrière, la piste principale de l’aéroport. Des bataillons de doux rêveurs atterrissent et décollent à longueur de jours et de nuits. Les machines à sous vous accueillent avec un grand sourire et vous disent au revoir d’un air goguenard dès le hall de l’aérogare. Beaucoup arrivent avec des calcifs en soie et des espoirs pleins les valoches, et repartent à poil, ou disons très mal fagotés…

 

Bon, c’est pas tout ça… Pourtant, cet alignement de grandes vitres qui tapissent la chambre, ça a vraiment de la gueule. Je suis comme hypnotisé par la majesté des panoramas. Mais j’ai le cerveau qui tournoie encore, comme la bille blanche que j’ai vu cavaler toute la nuit dans le cylindre aux illusions. Un reliquat de Jack Daniel’s à évacuer, peut-être… Je passerais bien des nuits et des jours à regarder, à infuser toute mon amertume dans la splendeur lointaine des paysages, en faisant le tour de la chambre, peinard. J’aurais dû y penser avant. Un vieux pote m’a dit un jour « Il y a deux sortes de voyageurs : ceux qui font le tour de monde en quatre-vingt jours, et ceux qui font le tour du jour en quatre-vingt mondes ». J’aurais dû méditer cette profonde maxime, qui ne fait pas que jouer brillamment sur une inversion de termes. J’aurais dû savoir que je ne suis ni un voyageur physique, ni un joueur. Les milliardaires, à cette heure ni à aucune autre, ne contemplent pas les panoramas.

 


 

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