Marfa, Méta-Physique

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Petite rêverie sur Marfa, bled prodigieux du Texas, non loin du binôme infernal El Paso / Ciudad Juarez, à la frontière entre les Etats-Unis d’Amérique et le Mexique, un endroit aussi sublime qu’improbable dont je ne fais ici que rêver, peut-être à la façon baudelairienne, comme un « enfant amoureux de cartes et d’estampes »

 

*

 

Marfa s’est insinuée dans mon esprit pour n’en plus ressortir. Comment s’y est-elle insinuée, comment s’y est-elle prise – subtile succube –, je ne saurais le dire, ou ce que je puis en dire n’aurait de valeur ou de vérité – du moins dans un premier temps – que purement extérieure, factuelle, anecdotique, un peu comme la pomme qui, tombant sur la tête de Newton, ne lui offre pas miraculeusement le génie scientifique, mais, marquées du sceau de l’évidence soudaine, une vision, une idée, une inspiration, idéalement faites pour éveiller, stimuler, féconder un esprit de découverte préexistant…

 

Que l’on se rassure (s’il en était besoin) au sujet de ma santé mentale, je ne me prends pas pour Isaac Newton…

 

Marfa déboule donc comme une pomme inconnue dans mon jardin des Hespérides… Et, observant ce fruit étrange (dont je ne peux m’empêcher de me demander – sans doute par réflexe d’éducation – s’il est « défendu »), je me mets à rêver… La pomme, humble fruit solitaire sur mon tapis vert-sombre, comme échappé de son verger originel, visage opaque aux joues pleines et rouges, aux doux reflets dorés, posée devant moi comme un objet proche et familier, s’ouvre d’un seul coup (fend son armure de peau pourrait-on dire) sur des lointains, sur des confins qui m’invitent au voyage…

 

Marfa, son nom tout d’abord… Il pourrait être celui, inouï, d’une femme inconnue, apatride, mythique, plus âme errante qu’être de chair… « Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre »… Elle aurait élu domicile, bien involontairement, en un lieu reculé, aride, rugueux, « loin de tout » comme dit une expression courante, mais aussi loin d’elle-même, elle qui en sa nature propre est partout et nulle part… Un endroit (mais faut-il s’en étonner ?) proche d’une frontière, un endroit de la frontière, la frontière même finalement, comme pour dire qu’elle n’est d’aucun monde en particulier, d’aucune nation, d’aucun espace fermé, aussi vaste puisse-t-il être…

 

Marfa, sorte d’île utopique dans un désert sans eau…

 

Marfa réalise le rêve ultime de l’art pour personne… ou pour qui voudra. L’art à l’état le plus pur, sans « public » obligatoire, appointé, informé, qui va dîner en ville après s’être ennuyé aux vernissages…

 

L’art pour le ciel et pour les vaches, pour les granges désaffectées et pour les étrangers en déshérence, pour les enfants du cru et pour les tarentules… Pour des panneaux qui n’indiquent aucune direction – ou des fausses, ce qui est encore mieux…

 

On ne « tombe » pas sur Marfa, on y va, on s’y rend selon un rude itinéraire qui est une volonté, un objectif, une détermination, eux-mêmes sans but bien précis, sans finalité bien prodigieuse, et là est précisément le sublime de la chose… Dans cette contradiction, dans cette absurdité même, de se démener comme un beau diable voyageur, traverser le temps et l’espace, pour ne trouver au bout du chemin qu’un futile paradis de beautés échouées au milieu de nulle part…

 

Marfa, ou la pointe meurtrie, desséchée, belle comme un paquebot enfoncé dans la terre, de la civilisation occidentale… Marfa dans une Amérique qui n’est plus tout à fait l’Amérique, ou peut-être un concentré absolu d’Amérique, quelque chose comme Andy Warhol et Keith Haring en vedette chez John Ford pour un improbable western expérimental…

 

Marfa, sa physique et son au-delà, ou le sublime de la futilité…

 

Marfa, c’est moi.

 

Google Maps Marfa - Copie

 

Liens : un article intéressant des InRocks sur Marfa ; et un autre non moins intéressant dans Next-Libération.

 

Photos en Creative Commons sur Flickr et sur Wikimedia Commons.

 


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