Las Vegas (Hot Babes)

Photos © Thierry Bellaiche

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Las Vegas, épisodes précédents : Las Vegas (Monde réel) ; Las Vegas (Roue de l’infortune) ; Las Vegas (Panoramas amers) 

 

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Il me fallait renflouer mon compte vite fait bien fait. Pas trente-six solutions. Les couilles à l’air dans ma chambre panoramique du Wynn (et sans vis-à-vis, si ce n’était peut-être le coup d’œil furtif mais aiguisé de quelque rapace tournoyant autour du building), je me remettais doucement… La nuit au casino du Caesars Palace m’avait terrassé. Et le lendemain ultra-comateux sous le cagnard face à la façade miroitante de l’Encore Hôtel à me prendre pour Monet devant le portail occidental de la cathédrale de Rouen, pas mieux… Passe, impair et manque, j’étais au tapis. Les jeux étaient faits et moi complètement défait…

 

Un coup de bigo à cet endormi de « conseiller clientèle » dans sa guitoune de Paris et c’était plié. A ma demande insistante, il a débloqué l’un de mes placements « sanctuarisés » pour ma future retraite. Sentant bien sa bienséante désapprobation, j’ai rassuré pépère, je lui ai dit que je n’irai probablement pas jusque là, que d’ailleurs je n’y tenais pas spécialement, et donc qu’à tout prendre, il valait mieux que je profite de mes petites économies dès maintenant, tant que je n’étais pas assez vieux pour l’être vraiment. Quant à le devenir pour de bon, c’est une perspective qui ne m’a jamais vraiment enchanté. Et puis j’ai vécu toute ma vie, prime jeunesse et « vie active », comme un semi-retraité, le fait d’en devenir un complet et « officiel » ne m’apprendrait donc pas grand-chose sur cette trop tardive condition… L’ennui sans la jeunesse, merci bien ! En fait de vrais vieux, j’ai adoré mes grands-parents, sans doute parce que justement je ne les voyais pas comme des vieux. Les autres, tous les autres, et moi-même m’imaginant devenir comme eux, même sac de dégoût… La vie est bien trop longue, on devrait débarrasser le plancher à la première attaque de rides. Place aux jeunes cons ! Y’en aura toujours assez pour surpeupler cette planète à peine plus étendue que le désert du Nevada. Pas la peine d’en rajouter avec les mêmes, atterrissant à l’autre bout de leur vie, confits dans leur avatar fripé et décati. Voilà. Quoiqu’il en soit, je n’avais pas vraiment le choix : j’étais bloqué à Vegas sans une thune, par ma propre faute, vu que j’avais tout, et très bêtement, engouffré dans cette maudite roulette du Caesars Palace. Et en fait de retraite, c’était pas celle de Russie que j’avais à rejouer, plutôt décamper au plus vite d’un climat un peu trop caniculaire à mon goût, aussi bien dans mon cerveau en surchauffe que dans cette cité bâtie dans un four à ciel ouvert.

 

Problème de pognon réglé, donc. Du moins provisoirement. Mon compte palpite à nouveau de dollars frais. Je crois les voir s’ébrouer comme des gardons dans un vivier. Je crois surtout que cette ville me tape sur le système. De retour sur l’asphalte, je saute dans un tacot. Je dois aller rendre visite à une connaissance à Henderson, dans le fin fond d’une gated community d’une interminable zone suburbaine, sud-est de Las Vegas. Les très riches protégés par de très grands murs dans un très beau trou perdu, j’adore ! Toujours cette chaleur à la con. Je suis fait pour le Nord ! Le froid qui pince ! Le vent glacial qui cisaille ! Le gel qui force les neurones à s’échauffer ! Vive Honningsvåg, nord Norvège ! Je suis pas fait pour ces chaleurs de dégénérés qui vous bousillent les circuits ! Qu’est-ce que je fous là ?

 

Sur le Strip, en passant devant l’indigeste pièce montée du Caesars Palace, sa blanche tour de style néo-romain-baroquo-cucul a l’air de me narguer de toute sa stupide hauteur, comme pour me rappeler ma récente Bérézina dans ses salles de jeu surpeuplées, où mes pertes furent des plus anonymes… Je me dis que je vais « immortaliser » ce symbole dérisoire de ma déconfiture, et surtout de ma connerie. Rien de mieux à foutre de toute façon, je suis coincé dans cette bagnole elle-même coincée dans les emboutes. Et je ne dis rien de l’état général de mon existence. Posté à la fenêtre ouverte, je cadre comme je peux le hideux édifice, mais un panneau vient s’interposer, glissant au premier plan comme une feuille de décor sur une scène de théâtre. C’est une camionnette promotionnelle typique du cru, faut croire. Intéressant. Du coup, je fais quatre clichés successifs de cette affiche impromptue, du plus serré au plus large, histoire de me raconter une petite histoire, et d’en venir progressivement à la vue d’ensemble. Pas mal… Je laisse quand même à l’arrière-plan un bout de mon motif de départ, ce grotesque fronton surbaissé « beau comme l’antique », chapeautant pompeusement le sommeil incertain et les veilles frelatées de tous les gogos de la planète. Maintenant, c’est l’espiègle demoiselle qui semble narguer et dominer le monument toc relégué avec son faîte prétentieux au fond de l’image. Elle me regarde et tient à me donner son numéro de téléphone, m’assurant que je peux la joindre 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Heureux hasard. C’est peut-être la baraka qui revient…

 

 


 

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