Inde (Trois femmes vives)

Photo © Thierry Bellaiche

 

 

Jaipur, Rajasthan.

 

En Inde, les visages des femmes sont d’une grande et singulière beauté.

 

Le temps n’y fait rien, cette beauté circule à travers les âges comme une source sinueuse entre les aspérités d’une immémoriale paroi rocheuse. Ces visages ont d’ailleurs eux-mêmes quelque chose du roc, mais d’un roc adouci par l’érosion de flots très anciens, familiers de leurs parages.

 

Souvent, ces femmes sont « voilées ». Mais le sont-elles vraiment pour leur dissimulation ? Rien n’attire le regard autant que la peinture mouvante improvisée par leur gracieuse et lente voltige, légèrement au-dessus du sol.

 

Dans les rues bondées de Jaipur, dans les campagnes sèches et rocailleuses du Rajasthan, les femmes font d’un paysage ardu une sorte de kaléidoscope grandeur nature, posant sur leur passage dans les lieux les plus arides les touches d’un tableau multicolore sans cesse changeant. Il semble qu’elles se soient habillées pour réveiller et pour animer un décor trop dur, trop terne, trop uniformément solaire. Quand le soleil, avec la sévérité obtuse d’un cerbère, écrase tout, et impose son règne sans partage, leurs déplacements, parés des teintes les plus espiègles, de couleurs piquantes aux résonnances adolescentes, introduit dans ce monde bréhaigne la fécondité joyeuse d’une vie démultipliée…

 

Ce jour-là, c’était sur un marché de Jaipur. Plus encore que par les couleurs merveilleuses qui enveloppaient ces femmes (formant de l’une à l’autre comme une suite d’accords parfaits ou un cheminement chromatique semé de subtiles transitions), j’ai été saisi par l’extrême douceur qui ressortait, comme en filigrane, de la rudesse de ces visages, qui semblent faits de la même âpre texture que les paysages qui ont vu naître leur longue lignée. La femme qui occupe le centre de l’image et qui regarde l’objectif avec un sourire d’enfant a certes un visage plus rond, plus replet que les deux autres. Mais celles-ci, placées à droite et à gauche comme des soutiens solides, discrets et familiers, même avec des traits plus anguleux, portent dans leur visage une tendresse sans ombre, irradiant d’une souveraine simplicité, flottant tranquillement au-dessus des souffrances de ce monde dont elles ont certainement, mais secrètement, toute leur part. Je vois dans ces visages de longues et lourdes années dolentes autant que la légèreté vibrante d’une vie de jeune fille…

 

Scrutant un horizon d’elles seules connu, le regard d’une profondeur de lac inaltéré, elles semblent contempler le temps autant que l’espace.

 


 

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