Las Vegas (Haie d’honneur)

Photo © Thierry Bellaiche

 

 

Episodes précédents : Las Vegas (monde réel), Las Vegas (Roue de l’infortune), Las Vegas (Panoramas amers), Las Vegas (Hot Babes) 

 

 

Chaud à l’extérieur, froid à l’intérieur : c’est Vegas. Clim partout, et à fond, dès qu’on entre quelque part, coup de bambou cosmique dès qu’on sort. Le soleil ne perd jamais et la clim gagne toujours, qui dit mieux ? Pas de demi-mesure. Pas de demi masures non plus : dans le centre-ville, que du bon gros bâtiment qui tache, et de la belle villa calme et bien protégée dès qu’on s’éloigne un peu du Strip, de ses touristes en bermuda, de ses casinos, de ses putes et de ses incessants coloriages promotionnels. Quant à la misère, elle existe bel et bien, ou devrais-je dire qu’elle existait, puisque la crise dite des subprimes de 2008 a réussi le prodige de virer tous les pigeons du cru, lesquels, ayant emprunté à taux variable (la bonne blague !) pour acheter leur bien, ne pouvaient plus rembourser leurs « prêts hypothécaires à risque » devenus exorbitants, et ont dû quitter leurs baraques suburbaines qui ne leur appartenaient plus, même pas par la magie du crédit ! Rien de tel qu’une bonne grosse crise économique pour éradiquer la misère… c’est-à-dire l’effacer des paysages dorés où elle fait tache. Les pigeons exfiltrés, ne restaient plus que les rapaces… Enfin seuls, ouf ! Les pauvres ou les pas-assez-riches furent priés d’aller voir ailleurs si le soleil y brillait davantage, ce qui avait peu de chance d’arriver, vu qu’à Vegas, il fait carton plein presque tout le temps… La misère n’a donc pas disparu à proprement parler, elle a émigré… Où ça donc ? Dieu seul le sait… et encore, pas si sûr.

 

Chaud à l’extérieur, froid à l’intérieur : c’est le sens ou l’essence de Vegas. Tout vous attire, tout vous appelle, tout vous fait de grandes œillades, tout vous chante monts et merveilles, tout vous promet l’accueil le plus zélé, tout, hommes et femmes, boutiques et signalétique, salles de spectacles et salles de jeux, lumière aveuglante et pénombre sulfureuse, et quand vous entrez dans ce barnum tentaculaire, quand vous vous jetez dans cette forêt de bras qui se tendent si chaleureusement vers vous, et particulièrement quand vous commencez à y semer les billets verts en oubliant qu’ils sont le fruit périssable de votre esclavage, c’est plutôt une sensation glaciale qui vous saisit, comme un baiser de la mort qu’il est trop tard pour éviter…

 

Bon, c’est vrai que j’ai pris une bonne leçon, la nuit cauchemardesque du Caesars Palace. C’est vrai que j’ai déconné, j’ai laissé à la roulette tout le cash que j’avais sur moi. D’autant plus que je n’ai jamais été joueur, trop conscient (en temps normal…) de la valeur du pognon, je me suis laissé emporter, voilà tout. Par l’ambiance peut-être, ou le « mythe » de Vegas. J’ai dû me dire qu’aller à Vegas sans flamber un peu au casino, c’était comme de faire une longue route pour l’océan sans y plonger une fois arrivé. Je n’ai pas su résister au chant de sirènes parfaitement imaginaires, profilées sur la mer doucement lumineuse mais en trompe-l’œil d’une croyance stupide en l’existence de la « chance ».

 

Finalement, je me vois un peu comme ce gars en bermuda et baskets, dans un hall de l’hôtel Wynn. Le décor est complètement toc mais attire l’œil. Les volumes sont majestueux. Les lumignons incrustés sur les branches d’arbres artificiels, les jarres géantes qui les contiennent en formant un bel alignement, les petits massifs de fleurs qui les séparent, le sol de marbre blanc agrémenté de motifs bariolés, l’espèce de pergola vert sombre qui couronne le tout, et même le bar mijotant dans une lumière tamisée au fond de l’image, tout semble fait pour accueillir l’hôte d’une façon triomphale, comme une haie d’honneur à votre disposition, et qui vous dit que vous êtes unique. Pourtant, le type semble traîner là comme une âme en peine. Il erre, comme déboussolé, dans une tenue peu conforme à la majesté des lieux, fût-elle de pacotille. Rien de triomphal là-dedans. « Unique » c’est à voir, seul c’est certain. Ce qui est sûr aussi, c’est qu’il vient de perdre un très gros paquet de fric au casino de l’hôtel. Je le sais, j’ai assisté à sa déroute, quelques minutes auparavant, avant de le voir quitter la table de blackjack, d’un pas hésitant, comme à regret. Je l’ai suivi du regard et je l’ai saisi s’éloignant, penaud, au milieu de la solitude glacée de la haie d’honneur…

 

Ce qui est dans mon dos, le contrechamp de ce décor fastueux, ce qu’on ne voit pas ici, c’est l’effervescence chaleureuse de la salle de jeu du Wynn.

 


 

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