Ik Ben Zot

Crédit photo dans Wikimedia Commons

 

En mémoire de feu le mouvement Dada qui, parce qu’il était l’intelligence même, n’avait jamais raison…

 

 

Non, Ik ben zot n’est pas « quelqu’un ». « Ik » n’est pas « le fils » de « Zot ». Autre civilisation, ouf !… Europe ! Nord ! Froid ! Sang-froid ! Ô beau Batave de Clamart ! Hollandais volant dans les festivités colorées de l’Aubette de Strasbourg, une bière ou une saucisse ou une clope ou les trois dans les mains ! « Ik ben zot » signifie « Je suis fou » en néerlandais. Je ne connais pas le néerlandais, et je le regrette bien. Il est vrai que je ne connais pas grand-chose non plus à la nucléosynthèse, ou du moins ai-je dû buter, à un moment X de mon apprentissage aléatoire, sur le problème épineux de la spallation cosmique, le caractère interstellaire de cette sous-discipline (intégrant de surcroît des éléments assez antipathiques tels que le lithium, le béryllium et le bore) ayant probablement dépassé à la fois ma patience qui n’a rien d’angélique et mes capacités intellectuelles qui n’ont rien de nobélisable. L’espace intersidéral aura eu raison de mon plafond de verre (ce qui ne peut guère m’étonner)… et le silence éternel de ces espaces infinis, du bruit strident qui se propage à peine (mais suffisamment pour lui faire très mal) dans ma peu spacieuse tête.

 

« Ik ben zot » était censé être l’anagramme ayant présidé à la formation du nom I. K. Bonset, pseudonyme du peintre, architecte, poète et théoricien de l’art néerlandais Theo Van Doesburg, nom qui se trouvait être lui-même le pseudonyme de Christiaan Emil Marie Küpper, celui-ci ayant donc choisi la signature I. K. Bonset au détriment provisoire de celle de Theo Van Doesburg lorsqu’il rejoignit le mouvement Dada en 1921 pour y publier des poèmes dada, ce qui tombait bien. Le problème (et s’il n’y avait que celui-là, je crois pouvoir affirmer au nom de l’humanité entière que celle-ci en serait très heureuse), c’est que les lettres de Ik ben zot ne permettent pas de former l’ « anagramme » I. K. Bonset. Allez comprendre… Enfin, presque… Une seule lettre non conforme jette un certain trouble d’imperfection dans l’anagramme à son pépère… Une seule lettre vous manque, et l’anagramme est détraquée ! Disons que le z de zot fait office de s dans Bonset. Pas de quoi en faire un bloc de Gouda ! Brisons-là ! Mais pourtant « Zut ! » ne se dit ni ne s’écrit « Sut ! », bon sang de bois ! Ça compte, merdre !, une seule lettre ! Il est vrai également que plus grand-monde, de nos jours fort contrits, ne dit « Zut ! » ni même « Bon sang de bois ! », et que les noms d’oiseaux tout comme les jurons populaires ont connu une certaine tendance à se corser ou à se neuf-troïser ces derniers temps, ô mes bon apôtres !… Bref, cette superbe Affiche-Programme se trouve être l’œuvre, entre bien d’autres n’ayant pas grand-chose à voir avec elle, de Ik Ben Zot, alias I. K. Bonset, alias Christiaan Emil Marie Küpper, alias « Mijn kleine liefde » (car j’avais coupablement omis celui-ci), sobriquet dont l’affublait à son grand dam sa ravissante et grande dame d’épouse, Nelly Van Moorsel.

 

Je ne connais pas le néerlandais, disais-je (ce qui n’empêche en rien d’apprécier cette affiche comme une représentation purement graphique, frémissant de discrets signes ésotériques, et d’ailleurs très belle – me dit ma peu spacieuse tête), mais je relève deux passages en français sur cette annonce de la « Tournée Dada » néerlandaise de 1923, spectacles dadaïstes, donc, donnés de janvier à février de cette année-là dans huit lieux différents et soigneusement choisis des Pays-Bas.

 

 

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Le premier : « Que fait DADA ?… 50 francs de récompense à celui qui trouve le moyen de nous expliquer Dada », apporte, sur un ton opportunément potache, un éclairage essentiel sur DADA : on ne l’explique pas, car si on pouvait l’expliquer, ce ne serait pas DADA. Les 50 francs de récompense promis (somme considérable en 1923) ne devaient pas beaucoup inquiéter ceux qui les promettaient, car ils n’auraient certainement pas manqué de récuser avec la plus solide et riante mauvaise foi toute explication qu’un quelconque cupide chasseur de prime aurait eu la prétention de leur fournir. Mais ils l’auraient fait en assurant le benoît candidat qu’en réalité il avait sûrement raison, car n’étant de toute évidence pas lui-même Dada, la Raison devait être son seul mode de pensée, ce qui est bien peu de chose… Mais n’étant pas Dada – auraient-ils poursuivi –, il ne pouvait toutefois pas vraiment comprendre et encore moins expliquer Dada, ce qui de facto le disqualifiait, bien qu’il eût peut-être raison, quant à son espoir insensé de toucher ces foutus 50 francs… On suit toujours ? Ce qui nous amène au second passage :

 

« DADA N’A JAMAIS RAISON »

 

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Bien entendu, sergent Küpper ! Dada n’a jamais raison car Dada n’est pas la raison

 

Quand on a un grain, y a-t-il une issue ? Toutes les issues ! Faut seulement le bon grain, et l’ivresse ! Et surtout ne pas les séparer ! Tzara, au secours ! ils sont devenus raisonnables ! Faut que ça vende ! Des histoires, des histoires, des histoires ! L’empoté Potter, le rêve absolu ! Fortune faite, peu de le dire ! Faites fortune, autre histoire ! On crève ici, Seigneur Pognon ! Vous nous manquez ! Du froid ! Du sang-froid ! Du blanc et de la croix ! Et les cabanes de Souccot, enveloppement lumineux ! Et des langues incompréhensibles ! Ou peut-être, pas d’issue… Le grain n’aura servi à rien…

 

Dada est un délire fort civilisé que nous avons perdu. Fin Dada.

 


 

Liens : une étude passionnante d’Emilie Frémond sur le chef-d’oeuvre de Tristan Tzara, Grains et issues, dans cette page de Mélusine ; le beau site de l’Association Theo Van Doesburg ; enfin, une petite histoire du mouvement Dada dans Dadaïsme

 


 

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