Las Vegas (Vie de chien)
Photos © Thierry Bellaiche
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Episodes précédents : Las Vegas (monde réel), Las Vegas (Roue de l’infortune), Las Vegas (Panoramas amers), Las Vegas (Hot Babes), Las Vegas (Haie d’honneur), Las Vegas (Fin du jour), Las Vegas (Errance), Las Vegas (Vue de dos), Las Vegas (Voix contraires)
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A mon cher François Husson, au cerveau magique…
Deux clébards au volant d’un pick-up, rien de plus normal. Tout va bien. Je reprends enfin mes esprits. Je remonte la pente, c’est bon ça ! Je suis sur le bord d’une voie expresse. Derrière moi, les emboutes devant l’inénarrable Excalibur Hôtel & Casino, avec ses tourelles de pacotille aux toits pointus rouges et bleus de style fin Disneyland-début Disney World, sont au max à cette heure de la journée. Les princesses vénales roupillent la chatte à l’air dans les saunas et les princes charmants aux yeux rougis par les longues veilles comptent les talbins qu’ils fourgueront ce soir. La ville est paisible.
J’ai passé trop de temps dans ce bled à la con, j’ai l’impression de rejouer Numéro 6 coincé dans le maudit Village sous la coupe de l’invisible et pourtant omniprésent Numéro 2. Mais l’Ange exterminateur, celui qui s’est échappé du cerveau merveilleusement malade de Luis Buñuel, mais qui existe bel et bien dans nos cerveaux d’esclaves consentants, ce cher Ange donc, a l’air de se faire plus discret ces derniers temps, il est peut-être allé emmerder le monde ailleurs. Poser d’invisibles fils à la patte de tout le monde… son jeu favori ! Qu’il me lâche la grappe, c’est tout ce que je demande !
J’ai croisé Mario, un dealer un peu décavé et pas très malin, une tronche impossible mi-latino mi-eczémateux, il avait un gros bandage à la main gauche, je lui demande ce qui lui est arrivé. « T’as vu « Casino », le film de cet enfoiré de Scorsese ? ». Un peu que je l’ai vu, et plutôt trois fois qu’une. « Ben alors t’as la réponse à ta question »…
Pauvre Mario, je l’aime bien, je le connais par « discrète recommandation » de mes connaissances bobo-blindées de Henderson dans la « banlieue » de Vegas, que je suis allé visiter récemment dans leur cage dorée et cocaïnée… C’est un gros balourd clandestin, assez inoffensif j’ai l’impression, il a pas eu la vie facile. Il a franchi beaucoup de grillages, beaucoup de barbelés, beaucoup de murs, beaucoup de Border Patrols à cheval et en 4X4 avant d’atterrir ici. Et maintenant qu’il a atteint son « rêve », il paraît aussi prisonnier, aussi pris à la gorge, aussi seul au monde que dans son Coahuila natal qu’il a tout risqué pour fuir comme le voleur qu’il n’était pas… Le coup du marteau sur les doigts dans l’arrière-salle insonorisée du casino pour cause de « comportement douteux » dans la sainte nef pleine de bruit et de fureur du jeu honnête, c’est pas cool… Mais faut être aussi un peu couillon pour aller proposer sa camelote « en toute discrétion » dans les lieux les plus surveillés du monde !
Je lui montre le décor juste derrière nous, la voie expresse devant l’Excalibur, suffit de lever un peu la tête : trois caméras perchées en haut d’un seul foutu réverbère, comme si une seule ne suffisait pas ! En plus elles ont été fixées dans la même direction, histoire sans doute d’être bien sûr de rien louper des va-et-vient du redoutable quidam ! Et dans les salles de jeu, y’aurait plus de caméras accrochées aux plafonds que de joueurs autour des tables que ça m’étonnerait pas ! Et des bataillons de molosses plus ou moins ouverts d’esprit prêts à vous tomber sur le paletot au moindre mouvement louche ! Et la notion de « louche » est assez élastique concernant la clientèle, elle arrive très vite dans le cerveau monomaniaque des cerbères qui font les trois-huit devant les écrans de contrôle. Suffit parfois de pas avoir la tête qu’il faut. Vous êtes classé « louche » à la vitesse d’une bille tournoyant dans la cuvette aux numéros… Les putes, elles, vont et viennent sans en avoir vraiment le droit, mais elles sont tacitement admises, à condition de se mêler aux gogos comme des joueuses normales, et accessoirement, de reverser à qui de droit une partie de leurs émoluments durement gagnés et bien mérités… Mais le deal de came, Mario, au milieu des festivités du dieu-dollar sous l’œil démultiplié de Big Brother, t’es con ou quoi ! ? T’as pas de gros nichons et tu te dandines comme un éléphanteau bourré ! T’aurais dû décarrer vite fait, toi et ta came, en admettant sagement cette imparable réalité…
Mario mate les clébards. Ses yeux se brouillent. Il a l’air de se demander ce qu’ils peuvent bien foutre à la fenêtre du pick-up, tout seuls, ils n’ont pas l’air bien méchants, et leur proprio n’est pas là. Il me dit qu’il avait un chien nommé Piquito dans son bled natal. Il l’aimait beaucoup. Il n’a pas pu l’emmener avec lui, quand il a décidé de partir. Il demandait régulièrement de ses nouvelles à sa famille restée au pays. Il a appris récemment, par sa tante Rosa, que Piquito s’était fait trucider et qu’un voisin un peu dans la dèche l’avait bouffé.
Lien : voir aussi l’Impromptu N° 7, sur le dédicataire de ce texte : Le cerveau de M. Husson